La justice en face à face

Comment est-ce qu'on atterrit devant les juges au palais de justice? Moi, je sais. J'y ai atterri pour voir ce qu'il s'y passe.

Il se passe qu'un quidam doit répondre de préventions de harcèlement. À la 54ème chambre correctionnelle, place Poelaert, à Bruxelles. Il se passe aussi que c'est sacrément pénible d'y entrer dans ce palais de justice censée être de verre. Une foule dingue qui entre au compte-gouttes, en qualité de "visiteurs" informe un panneau (pourquoi pas "voyeurs" tant qu'ils y sont?). Lente procession parce que barbouzes de sécurité, portique de détection, obligation d'enlever la veste, c'est carrément une entrave à la publicité des débats que je dis à un préposé qui n'en a rien à fiche.

Mais, donc, le harceleur. Il se trouve à gauche avec, juste derrière, son avocat, un jeune barbu. À droite, assise, la harcelée, avec sa maman et, juste derrière, leur avocat, un jeune barbu. Devant eux, la Justice. De gauche à droite, une procureur du Roi pour accuser, trois juges, une greffière et, en contre-bas, une huissière. Pour qui l'ignorait, en effet, la Justice, c'est toujours sur une estrade, un peu plus haut que le commun des mortels. Cela donne de l'autorité ou, du moins, son apparence.

Il est neuf heures un quart du matin et le juge qui préside, assis entre les deux autres, a commencé l'interrogatoire du prévenu.

Un type dans la quarantaine, coupe en brosse, poivre et sel, habillé propre et décontracté, plutôt beau gosse avec une vague ressemblance à Gian Maria Volonté mais dans une version bâclée réalisée un jour où le bon dieu n'avait guère envie de besogner. Peut-être bien que c'est aussi un Italien, comme Volonté, je veux dire. Possible, possible.

Sa victime, une petite au long cheveux noirs avec des traits délicats et fins, n'est pas sans pourvoir aspirer elle aussi à la célébrité par procuration: évocation fugace de Greta Garbo, ce qui est sans nul doute exagérer. Et pas suédoise pour un sou. Elle est peut-être comme l'autre Italienne. Peut-être, peut-être.

Au président qui lui demande s'il connaît les deux femmes, notre très modérément irrésistible "Italian lover" joue l'idiot. "Je les ai vues deux fois", dit-il. Arriver à harceler une personne au bout de deux brèves rencontres mériterait de figurer dans un livre des records.

Se tournant vers les deux femmes, parties civiles, le président, perplexe, leur demande "Et vous n'avez pas crié, demandé de l'aide?" L'ennui dans la labyrinthe de locaux d'une vétuste magie au palais de justice, c'est qu'on entend fort mal ce qu'il y est dit. C'en devient presque du film muet.

Bref, la réponse des deux femmes se perd dans un bourdonnement inintelligible. Comme d'ailleurs près de toute la suite des débats. Que le prévenu ait donné forme à ses assuidités à plus que deux occasions ressort néanmoins de l'énumération de trams et de bus qu'il aurait pris afin de se rapprocher de la jeune fille et, partant, de suivre sa trace, acte réprouvé aux termes de ce que notre brave nouveau monde entend du point de vue juridique par harcèlement.

Car, d'évidence, il n'y a pas eu attouchements, ni gestes déplacés, encore moins viol et compagnie.

Pas de cri, pas d'appel à l'aide. Toute cette affaire semble bien moraleuse.

On apprend même que, du côté de la victime, il y a eu assistance d'un psychologue. Mon dieu, un psychologue! On en est là quelque deux mille ans après que le grand Alexandre s'en fichait pas mal. Cyrus, itou.

On serait tenté de dire: procès pour queue de cerise. Cours de morale sous chapiteau judiciaire. Avec, peut-être bien, le rôle catalyseur d'une maman aux vertus plutôt rigides.

Mais, tenté seulement. Car le harceleur, il a comme on dit dans le jargon, des "antécédents", quatre condamnations, dont une pour vol avec effraction. Oufti! Il aurait mieux fait de tenter sa chance dans le cinéma. Et, puis, gênant à la puissance quatre, la différence d'âge, près de vingt ans de plus que l'objet de ses médiocres rêves de séducteur. Tss, tss, tss, pas bien, ça, pas bien.