C'est donc ça, la mort.
Il n'en revenait pas.
Se retrouver dans un métro. Avec - comme il l'aimait d'ordinaire - une place assises sur fenêtre dans le sens de la marche.
Et, magnifié par les parois du tunnel, le hurlement concassé, puissant, de la motrice et du déplacement d'air.
Le changement était considérable. À un instant, agonisant dans un lit d'hôpital édenté, l'instant d'après, propulsé par une rame de métro.
La mort est chose singulière, se dit-il.
Ce métro, aussi, fut la suite de sa pensée. La voiture était vide, aucun autre mort n'y avait pris place.
En plus, elle ne s'arrêtait pas. La distance entre les stations semblait infinie.
Peut-être que tous les métro de la mort fonctionnent ainsi.
Sur ce, il ferma les yeux.
Autant dormir un peu.
Un rêve le saisit quasi aussitôt. Il était dans un bistrot. À la serveuse, dont les chairs blanches et abondantes étaient moulées dans une robe bleue fendue sur des cuisses en apnée, à cette créature de rêve, il dit: Voulez-vous que je vous raconte une histoire macabre?
C'est un type en pyjama dans le métro de la mort.
Le même pyjama que je porte maintenant. Dans le même rêve qui nous enveloppe en ce moment. Mais dans le métro, il n'y a que moi.
La voiture, voyez-vous, est vide. Je suis le seul passager.
Elle fit une moue. Accrocheuse ou lasse, difficile à dire.
Il ouvrit un œil.
La voiture poursuivait sa course immortelle.
Il le referma.
La serveuse, debout devant lui, semblait absorbée par des pensées effilochées sur toutes les coutures. Elle dit: Je me demande ce qui l'a retenu.
Qui? dit-il.
Napoléon, dit-elle. Bel homme. Il se proposait de faire ma conquête.
Moi, aussi, dit-il. Mais pas dans le métro. Un lieu calme, plutôt. Un hôtel de passe, peut-être. Mais il faudrait alors que le métro s'arrête et me laisse sortir.
Justement, le métro s'était arrêté.
La secousse le réveilla. Il se frotta le visage. Et plongea la main dans un poche de son complet-pyjama pour en sortir un paquet froissé de Lucky Strike sans bout filtre. Il en restait trois, de cigarettes. Toutes mortes comme lui.
L'avantage, se dit-il, c'est qu'on ne risque pas d'attraper un cancer quand on est mort.
Il tira d'autant plus goulûment sur la tige.
C'est alors qu'il remarqua qu'une fanfare s'était installée sur le quai. Elle ne manquait pas d'allure. Au centre, un évadé de Manchester, clope au bec, avec sa Fender Stratocaster. Il leva le bras, poing fermé - et entama une version chaloupée de Gimme Shelter. En choriste, à côté de lui, la serveuse, chaude comme un banane flambée au rhum (*).
Toute la station s'en trouva mitraillée de jets de lumières colorés. La mort, se dit-il, ça a du bon.
Il jeta un œil à sa montre-bracelet. Comme de juste, elle était arrêtée, les aiguilles sur six heures trente. Du matin ou du soir.
Il y eut un tonnerre d'applaudissements.
Puis, un silence total. Tout était comme happé par un trou noir.
Vu de l'intérieur, cela tenait de la berceuse. Avec des fragments de souvenirs d'enfance: assis sur le pot à crier triomphalement Fini !! Pour se faire torcher le cul, recevoir un bisou de maman, respirer son odeur, un peu fauve, mêlant tabac et savon: indicible promesse de douceur de vivre.
Il en eut sommeil.
Piquer un somme, pourquoi pas?
C'est un autre avantage, pensa-t-il juste avant de sombrer. Quand on est mort, on dort quand on veut.
(*) La ressemblance avec Lisa Fischer, 1998, était frappante.