Meurtre judiciaire en catimini

La phase en principe ultime du procès pour statuer sur la demande des États-Unis d’extrader le journaliste et lanceur d’alerte Julian Assange s’ouvre ce lundi 7 septembre. Enjeu: crucial. Tumulte: néant (quasi)

On a tant écrit sur Julian Assange, prisonnier d’opinion comme dirait Amnesty International, qu’on se demande à qui on va apprendre quoi que ce soit. Parmi les fidèles d’Entre les lignes (1), on veut dire, ou qui tomberait dessus par hasard de ses clics distraits.

Sauf que, prisonnier d’opinion, bien sûr, de toute évidence, mais pas d’un quelconque État "voyou", d’une dictature sympa qui vend du pétrole ou d’une république bananière en apprentissage tout-au-long-de-la-vie de la démocratie, mais de la Grande-Bretagne, pays de haute civilisation, parmi les glorieux insoumis au nazisme, accoucheur du habeas corpus et naguère membre de l’Union européenne.

Enterré vivant

C’est là que Julian Assange croupit (2). Dans une cellule de deux mètres cinquante dont il ne peut sortir qu’une heure pour une promenade seul dans une journée qui en compte vingt-quatre, longues quand on peut à peine voir ses avocats et que même pas un ordinateur qui fonctionne à sa disposition. On se croirait au moyen âge.

Tout cela est bien connu ou devrait l’être.

Incarcéré dans une prison de haute sécurité pour la violation d’une infraction contestable de type babiole qui pèse cinquante jours d’emprisonnement et dont la peine a depuis longtemps été purgée. Sauf que, il n’est actuellement condamné de rien, il n’est "que" en préventive par suite d’une demande d’extradition formulée par les États-Unis, dont il n’est pas interdit de penser que le but n’est pas tant de l’enfermer à perpétuité là-bas mais de le liquider physiquement par une tactique d’épuisement, de démoralisation, voire de contagion – l’aubaine du covid-19! – à mettre sur le compte de la faute à pas de chance.

Bon, ça n’arrive qu’aux autres. Air connu dont on connaît la rengaine voltigeuse, un jour, ils "emmènent" les communistes, un autre, les romanichels, un autre les évangélistes, un autre les rouquins, et voilà-t-il pas, patatras, que ça sonne à la porte…

Défaut de glamour

L’ennui, c’est que Julian Assange, il n’est ni communiste, ni romanichel, ni évangéliste, pas même roux – ni black, ni arabe, ni juif, ni "trans", ni rien susceptible d’éveiller une solidarité tribale de groupe, on ne va pas dire de classe, périmé, ça. Il a juste beaucoup d’ennemis.

Les États-Unis, le Royaume Uni, l’Arabie saoudite, la Suède, l’Équateur (3), quasi toute l’Europe qui n’a pas levé le moindre petit doigt pour crier au scandale, et presque l’ensemble de la corporation journalistique, aussi, qu’on n’a guère vu s’indigner (4).

Cela fait beaucoup de monde qui veulent sa perte. On ne rigole pas avec la mafia, toutes les mamans expliquent ça à leurs petiots. Quand des États se font mafieux, c’est presque pire. Notre confrère Marc Molitor (5) a relevé quelque 97 contre-vérités diffamatoires propagées pour ternir l’intégrite et l’honneur d’Assange. Même à l’ère du tam-tam fangeux sur réseaux asociaux, il n’est pas donné au premier quidam venu (masqué) de déployer une telle puissance de feu.

Exemple que ce journaleux du magazine Wired qui, recueillant des propos confidentiels, s’empresse d’en informer le FBI.

Exemple que l’enfumage international d’une magistrate suédoise pour, contre toute évidence, jeter Assange en pâture sous les traits d’un violeur récidiviste (une des "plaignantes" parlera d’un "coup monté par la police"): nombre de gens réputés sensés et critiques n’ont pas manqué d’être ébranlés par cette campagne-là. Pas de fumée sans feu, concluront-ils. Sans s’interroger sur l’origine du feu.

Complot à ciel ouvert

C’est dire que la phase en principe ultime du procès qui s’ouvre ce lundi 7 septembre 2020 ne se présente pas sous le meilleur jour. La juge, dame Lady Emma Arbuthnot, n’a rien d’une marrante et s’est déjà exprimée de manière vipérine sur Assange. Mieux, son mari, ex-ministre de la Défense conservateur, est en étroite collaboration avec le "think tank" et groupe de pression londonien HJS, une des machines de guerre contre Assange (6).

C’est le cas également de la ministre de l’Intérieur Priti Patel qui, le cas échéant, aura à signer l’acte d’extradition. Ajoutons à ces profils, celui du prédécesseur de Ms Patel, Sajid Javid, qui avait déclaré recevable la requête américaine d’extradition dès sa réception, sans même l’avoir lue.

Ce qui n’étonnera personne. Javid, informe Marc Molitor, "participe régulièrement aux réunions, aux États-Unis, d’un club assez fermé de décideurs politiques parmi lesquels des gens particulièrement hostiles à Assange et qui souhaitaient même sa «liquidation»."

Rideau?

Dans n’importe quel pays un peu civilisé, la juge Arbuthnot aurait dû se récuser. Quand s’en mêle la raison d’État, avec ses lettres de cachet et meurtres judiciaires, il n’y a plus de pays "normal". Le citoyen, la citoyenne "lambda" n’a que le choix du poste d’observation, mezzanine, balcon ou parterre. Et puis signer des pétitions. Et puis, peut-être même, se joindre aux manifestations que les groupes de soutien organisent chaque semaine (7). Et puis quoi? Allumer un cierge?

C’est peut-être se montrer par trop pessimiste.

L’avocat de défense principal d’Assange, Baltasar Garzon, avait conclu un entretien en disant, si Assange devait être extradé, "Que les journalistes se préparent à subir le même sort à un moment de leur carrière." On ajoutera volontiers: idem pour quiconque s’exprime publiquement de manière à déranger les appareils d’État.

Autant savoir.

On consultera évidemment
https://www.belgium4assange.be/
https://www.facebook.com/groups/Assange.Ultime.Combat

1 Voir http://www.entreleslignes.be/humeurs/les-indignés/assange-et-wikileaks-du-vrai-journalisme et http://www.entreleslignes.be/le-cercle/erik-rydberg/c-est-qui-ça
2 Pour mémoire, huit années de confinement 2011-2019 à l’ambassade équatorienne, Londres lui refusant le bénéfice du statut de réfugié politique accordé par ce pays, suivies de dix-mois en cellule haute sécurité après le raid policier sur l’ambassade en avril 2019.
3 Lorsque le président progressiste Correa sera remplacé par le néolibéral Moreno, aussitôt "arrosé" par les États-Unis, la messe était dite pour Assange.
4 Voir https://pour.press/assange-des-medias-bien-atones-pour-defendre-lun-des-leurs/
5 Voir sa tribune parue dans La Libre du 4 septembre 2020 https://www.lalibre.be/debats/opinions/pourquoi-l-enjeu-du-proces-de-julian-assange-est-crucial-5f521e119978e2322f6a8eb7
6 Voir https://www.dailymaverick.co.za/article/2020-09-04-as-british-judge-made-rulings-against-julian-assange-her-husband-was-involved-with-right-wing-lobby-group-briefing-against-wikileaks-founder/
7 Voir https://www.facebook.com/events/242798036844145/