Läst/Lu/Read: NovaNov '17

1. Clara Zetkin (1857-1933), Au club des femmes musulmanes, 1926, éditions LitPol, 2017. ATTENTION, CECI EST UNE PUB. Insérée ici à la manière d'une accroche, une "réclame": le livre de Clara, remis sur le métier de la mise en page une vingtaine de fois, est un livre que j'ai édité, tout seul, comme un grand (175 cm hors socle). Ce n'est pas tous les jours qu'une nouvelle maison d'édition voit le jour! Voilà qui méritait mention en tête de "gondole"... Une information détaillée suivra... (pour qui croit à papa Noël, toutes les âmes enfantines).

2. Albert Ollivier (1915-1964), Saint-Just et la force des choses, 1954, Livre de poche, 1966 (3€ chez Oxfam). Moment fondateur de notre civilisation commune, la Révolution française demeure l'énigme irrésolue dont Zhou Enlai disait en 1972 qu'il est encore trop tôt pour en juger l'impact. Donc, joie de tomber sur çui-ci. D'autant que je venais de visionner le Danton de Wajda, 1983, sommet de désinformation qui, pour pourfendre le "glacis soviétique" du moment, prend prétexte du différend entre Robespierre, personnification du mal, et Danton (Depardieu!), pour transformer ce dernier en héros hollywoodien de l'humanisme démocrate - ce qu'une simple lecture des faits historiques dément, comme Ollivier l'atteste surabondamment. (Pour qui veut aller au plus près de la tragédie affrontant Danton, Robespierre et Saint-Just, voir le Quatrevingt-treize de Victor Hugo (1874, mon édition est un Garnier de 1980), avec le sublime face-à-face Danton-Robespierre où le premier dit "Écrasons l'enemi", et le second "Je veux bien. La question est de savoir où est l'enemi."; alors le premier: "Il est dehors, et je l'ai chassé.", mais alors le second: "Il est dedans, et je le surveille." - mais encore Emmanuel Berl, Les impostures de l'Histoire, 1959 (réédité dans les Cahiers rouges de Grasset, 2014), dont le cinquième chapitre balaie d'une lumière rasante les zones d'ombre du 9 thermidor, lequel signera, devant un Saint-Just "muet, blême", la fin de la Révolution et la victoire de la droite). Saint-Just, à 26 ans, homme le plus puissant de France et, à même âge, guillotiné. De la fresque d'Olliver, épinglons la charge, plus actuelle que jamais, de Saint-Just contre la bureaucratie: "Le ministère est un monde de papier. Je ne sais comment Rome et l'Egypte se gouvernaient sans cette ressource: on pensait beaucoup, on écrivait peu. La prolixité de la correspondance et des ordres du gouvernement sont une marque de son inertie; il est impossible qu'on gouverne sans laconisme."

3. Simone Weil (1909-1943), La personne et le sacré, 1942, RN éditions, 2016. Avec Simone Weil, c'est l'ascenseur vers les hautes sphères. Dans ce cours texte (45 pages) rédigé à Londres en décembre 1942 en marge du projet de nouvelle déclaration des droits de l'homme voulue par de Gaulle, Weil procède à la manière de la mise au point philosophique, soulignant le caractère sacré de l'être humain, et que la notion de "personne" (inévitablement une "chose" pour elle, marchandable) ne saurait qu'introduire de la confusion, surtout associée à celle du droit qui n'est jamais que fonction d'un "partage" et d'un "échange", quasi "commercial", où seul compte la "force" de qui dira le droit: elle ne prononce pas les mots de "justice de classe" mais c'est tout comme: le "malheureux" sera, au tribunal, sans voix "devant un magistrat qui fait en langage élégant de fines plaisanteries". Elle parle d'expérience. Avec une certitude de mystique: "L'arbre est en vérité enraciné au ciel." Lire Weil, c'est se rappeler qu'on est autre chose, et surtout pas une chose.

4. Jean Paul (né Richter, 1763-1825), Journal de bord de l'aéronaute Gianozzo, 1801. Là, désolé, j'ai égaré le bouquin, je trouve pas, je me désole mais ne perds pas la foi du charbonnier. Ce sera pour une autre fois, quand j'aurai retrouvé.

5. Georges Picard (né en 1945), Cher lecteur, Éditions Corti, 2017. Une petite chose délicieuse pour qui pense, avec Picard, que les livres ont une âme. Et qu'ils sont d'incomparables éducateurs: les idées, rappelle Picard, lorsqu'elles sortent du cerveau, prennent la forme de mots, "puisqu'il n'y a pas d'idées sans nom, seulement des intuitions vagues." Et d'enfoncer le clou: "La richesse du vocabulaire fait la richesse de la pensée; or, le vocabulaire s'apprend par la lecture." À afficher dans toutes les écoles!

6. Aymeric Monville (contemporain), De si jolis grands hommes de gauche, Delga, 2017. Ils en prennent tous pour leur grade, Badiou, Debord, Gauchet, Gorz, Laclau-Mouffe, Habermas, Marcuse, Michéa, Rancière, Lordon, Deleuze, Derrida, Todd et j'en passe, toutes les coqueluches de la gauche américanisée. C'est l'évidence, tout le monde ne partagera pas l'analyse vitriolée de Monville mais cela aide furieusement à mettre les choses à l'endroit et à voir clair dans le caquetage ambiant.

7. François Châtelet (1925-1985), Une histoire de la raison, série d'entretiens radiophoniques réalisés en 1979, publié en 1992, réédité en Points Seuil, 2015. Sur la philosophie, il existe deux types de livres. Ceux où on comprend rien (pas désagréable, en soi). Et ceux qui rendent tout limpide. C'est le cas de Châtelet. En plus, avec lui: des découvertes surprenantes, comme le fait que Hegel, prévoyant la marche vers des inégalités extrêmes (ho!) et auquel on doit la notion de "paupérisation absolue" (erronément attribuée le plus souvent à Marx), jugeait que le plus sûr moyen de sortir de cette contradiction irrémédiable entre la "plèbe" et les riches (hoho !!) et, partant, ne pas compromettre "l'unité du corps social" (la "cohésion" dirait-on aujourd'hui), est de se lancer dans des guerres internationales (hohoho !!!) pour "écouler les produits sans avoir à les vendre". Châtelet y voit une illustration de l'adage selon lequel "Le seul moyen de donner quelque chose à quelqu'un sans le lui faire payer est de le lui envoyer sous forme d'obus". Et Hegel, nota bene, n'écrivait pas en 1937 (Guernica), ni en 1945 (Dresde), pas même en 1999 (Belgrade) ou en 2003 (Bagdad). Il écrivait cela au début du 19ème siècle. Le collier de perles qu'enfile Châtelet pour notre plus grand plaisir refait vivre, en nous les rendant tout proches, Platon, Aristote, Descartes, Bodin, Hume, Machiavel, Hobbes, Kant, Hegel et Nietzsche. Du grand art.