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Comment entamer l'an neuf du bon pied? En faisant comme si. Comme si cela nous concerne pas. Mais en chavirante compagnie, s'il vous plait, des pouilleux des terres bibliques, des poètes que l'oubli a maudit, ou momifiés de mythologies rétroprogessistes, voire encore des égarés du Graal perdus dans le dédale du Parlement.
Décembre a des allures de ligne droite. À tombeau ouvert vers le fade néant de l'année nouvelle. À plusieurs, dans une Oldsmobile fifties décapotée, c'est plus déluré. Sur la banquette arrière, Thomas Hardy entonnant une chanson à boire en duo avec le petit merle de compagnie de Vinciane Despret. Assoupi à la "place du mort", ronflant mélodieusement, J. L. Austin. Sur ses genoux, rêvant à Ulysse, Barbara Cassin. Au volant? Ben personne, tiens! Bagnole hybride, mi-vaisseau fantôme, mi-train fou.
Les couleurs ambrées de novembre ont une feuillage d'une encre bien sympathique qui bruisse de vieux os nous faisant signe, fantômes d'Aragon, de Jünger, de Brecht et de Platonov. L'automne mourant est d'une lecture réveillant d'anciennes berceuses.
Septembre a fait croire à un été éternel. Las! Tout comme, Adorno et Horkheimer, à une renaissance socialiste. C'était en 1956. Las! Tout comme Francis Combes, au bonheur sans fin d'une poésie rouge. Las, encore! Sans parler de Chomsky, l'optimiste incurable... Heureusement, Thomas Mann est là pour rappeler que dans tout pape sommeille un hérétique!
Les bouquins apportent la preuve que les esprits parlent. Goethe, c'est une voix douce, un peu fatiguée. Schiller, nettement plus rapeuse, mais pleine d'enthousiasme. Rimbaud? Une voix d'illuminé (et d'encrapulé)! Malraux, secouée de tics nerveux, elle saccade. Tournée générale!
Les juilletistes forment un cortège haut en couleurs. Ruskin attaché au parasol, Babel glissé dans le chapeau, Diderot en guise de guide touristique et Ponge comme irremplaçable GPS portable. Les paradis artificiels sont des escargots en papier
Du 19ème au 20ème, de la bourgeoisie pignouf de Flaubert à l'antihitlérisme de Seghers, mais avec poésie, avec Freud, avec Homère, avec la Chine idéographique...
Qui a vécu jusqu'au mois de mai peut se dire favorisé par les dieux. Surtout si ce joli mois de lentes trépidations hiératiques porte moisson d'une foule de lettres formant mot formant phrase formant page après page la résurrection de moments passés. Cette fois, par exemple, Ponge, et Aragon, et Lentini, et Mann (les deux frérots!) sans parler de l'indomptable Lou Salomé
Grand parmi les grands, Ilya Ehrenbourg (1891-1967) est peut-être plus encore aujourd'hui, un grand oublié parmi les grands oubliés (écrivain soviétique, ça explique déjà). On vient de rééditer, aux éditions Héros-Limite. Un roman-pamplet (poétique, si, si! - et scientifique, évidemment) contre la bagnole, celle qui macadamise la vie et ronge les cerveaux.
Comment s'extraire? On peut sortir de chez soi, déambuler sans but. On peut fermer les yeux. On peut regarder la télé en coupant le son. On peut se jeter dans les bras de dame vodka. Mais on peut aussi lire. Ah! Ponge! Shakespeare! Kraus! Aragon!